asphalte-et-cumulus

je ne vous connais pas, je vous frôle, là sur le quai, épaule contre épaule

Mercredi 27 juin 2007 à 10:25

_ Tu sais, j'ai rencontré J., l'autre jour, à la fête du cinéma. Et bah elle a déjà acheté presque tous ses livres pour l'année prochaine, et elle en a déjà lu trois. Tu vois de quoi je parle, c'est par rapport au tableau qu'on doit remplir, avec les siècles et les genres de livres ;  il faut qu'on puisse remplir chacune des cases. Moi j'ai lu que deux livres, et j'en ai  acheté aucun.

_ Ouais mais attends, tu vas pas travailler toutes les vacances !

_ Non, bien sûr. Mais de toute façon, lire, ce n'est pas travailler.

_ Et il te manque beaucoup de cases?

_ Oui, quand même.

(prise de conscience du double sens, puis fou-rire)

Lundi 25 juin 2007 à 11:24

(C'était l'endroit de mes jeux, c'était l'endroit de mon enfance,
C'est un lieu que j'ai aimé, et tout autant de fois haï.
Cet endroit a pris son sens seulement quand j'en suis partie,
Quand l'immense portail blanc s'est refermé dans le silence.

Mais qu'ai-je donc entendu samedi? Nétait-ce pas mes propres cris? N'était-ce pas mes propres chants? N'était-ce pas ma joie d'enfant qui revenait comme en écho, après de longues années d'absence? Non, ce n'était pas cela, c'était bien plus que tout cela, a répondu un je-ne-sais-quoi, assis tout seul dans la cour. Ce sont les cris, ce sont les chants, ce sont les joies des enfants, des enfants qui ne comprennent ni l'Après, qui ne comprennent ni l'Avant, et qui jouent sans compter le temps. Réjouis-toi, réjouis-toi, m'a soufflé le je-ne-sais-quoi, ces enfants sont un reflet de ce qu'un jour tu as été. Regarde les bouger, écoute les chanter, ne passe pas sans les voir, ne fais pas que les entendre. Puis le je-ne-sais-quoi s'est tu, pour me laisser seule avec eux.

Mais l'autre jour  le portail s'est rouvert,
Comme s'il permettait soudain à ceux
A ceux qu'il avait enfermé naguère,
De revenir s'y retrouver un peu.

Il faisait beau ce jour là,  le soleil éclairait la joie des actuels écoliers et celle des anciens élèves de l'école de quartier. Les plus âgés souriaient devant les chants, les danses des benjamins, ils contemplaient les visages de ces gamins, en se rappelant les spectacles qu'ils avaient fait eux,  des années auparavant. Les plus jeunes restaient fidèles à leur enfance, pleuraient parfois, se disputaient, mais retrouvaient vite la gaieté qu'impose un tel jour de fête, prévu depuis tant de journées "Dis maman, est-ce que tu viendras, à la fête de l'école?"  "Et Papa si on allait un peu au jeu de massacre. Allez dis oui, s'il te plaît."

Partout mon regard
S'est posé et tard
Je m'en suis allée
Par le portail rouillé.


J'ai revu les maîtresses, les maîtres, les amis,  j'ai revu le préau, le cour et la chaufferie, mais mieux que tout cela, j'ai revu ces moments, ces temps où je jouais, j'apprenais, je riais, je pleurais, sans connaître l'Avant, sans connaître l'Après.)

Mardi 19 juin 2007 à 12:23

Alexandre habite un deux pièces, dans un quartier tranquille d'une grande ville. Il est curieux de nature,  généreux et ouvert. Depuis qu'il est majeur, il ne manque pas une seule élection, il ne veut pas faire partie de ces personnes qui s'abstiennent de voter. "Voter est un droit, c'est aussi un devoir civique" précise la carte électorale. Alexandre fait son devoir, sans penser une seule seconde que c'est une contrainte, sans en tirer une quelconque gloire. Ce qui l'ennuie, au fond, c'est que tout le monde ne fasse pas de même.  Pourtant, il sait très bien qu'il n'a aucun pouvoir sur ses concitoyens, et que même avec toute la bonne volonté du monde, il ne pourrait pas les forcer à aller voter. Tant pis, tant mieux, il ne sait plus ; ça fait quelques années déjà qu'il s'est résigné. A l'époque où il a compris qu'il ne pouvait pas lutter contre l'abstension, il a choisi un autre moyen de s'engager aux côté de la République. Un dimanche pas tout à fait comme les autres, il s'est rendu au bureau de vote de son quartier, et a demandé s'il pouvait aider. Aider. Se rendre utile. Participer au bon fonctionnement de la démocratie. Quelle louable intention. D'autant plus que les bénévoles étaient rares ce jour là, et que pour le coup, sa présence s'est révélée plus que nécessaire. Alexandre s'est senti utile toute cette journée, il a aimé l'idée de permettre à tous ceux qui souhaitaient voter d'exercer  leur devoir civique dans de bonnes conditions. Depuis ce jour là, Alexandre passe tous ses dimanches électoraux dans une petite école maternelle. Il aime voir les gens de son quartier, entendre leurs voix, chercher à les reconnaître d'une élection à l'autre, découvrir les nouveaux majeurs qui comme lui, ont choisi d'exercer leur devoir dès qu'ils l'ont pu. Il aime retrouver Georges, Sylvie, Béatrice et les autres dans ce préau au sol vert, sous les néons blafards. Il commence à connaître les manies, les opinions politiques de chacun, et les heures où ils préfèrent tenir les bureaux de vote. Etant le plus jeune de la bande, il dit que ça lui égal de rester à l'école toute la journée, qu'il peut très bien arriver à sept heures et demi, et repartir à vingt et une ou vingt deux heures si on a besoin de lui. Alexandre aime ces journées particulières où le temps semble parfois se suspendre, se dilater où s'accélerer en fonction de l'affluence des électeurs. La dernière fois qu'Alexandre a tenu son bureau de vote, c'était pour le deuxième tour des législatives de 2007. Il a eu une surprise vers dix heures :  une électrice d'à peine dix-huit ans, qu'il avait déjà remarqué comme étant la plus jeune du bureau lors du premier tour, s'est présentée. Ce qui l'a surpris, c'est que ce n'était pas "son"  heure. La dernière fois, elle était venue beaucoup plus tard. Mais il était content de la voir. Content parce qu'elle venait voter, pour la deuxième fois, et qu'elle n'avait donc manqué aucune élection, contrairement à la majorité de ce que les sondages appellent "la tranche des 18-25". La première fois, il  s'etait demandé si elle venait par réelle conviction ou si elle venait uniquement pour voir ce que ça faisait de voter. S'il lui avait demandé, elle aurait vraisemblablement répondu "ni l'un, ni l'autre". Mais il n'a pas su, et ne saura pas. La seule chose qu'il avait pu faire pour cette fille, pour la démoratie, et aussi pour lui, c'est de lui faire un signe de la main, et de lui crier à bientôt. La fille était contente qu'on s'intéresse autant à elle, et que son premier vote ne passe pas inaperçu. Et elle savait que de toute façon, elle reviendrait, même si l'homme qui tenait le bureau de vote ne lui avait fait aucun signe et ne lui avait adressé aucune parole. Après le départ de la fille, Alexandre avait recommencé à vérifier les cartes électorales et les cartes d'identité, tout à fait normalement, simplement content que des jeunes s'intéressent à une élection aussi méprisée que celle des députés. Mais le semaine suivante, quand elle était arrivée devant lui, toujours un peu perdue dans la procédure, ne sachant plus à qui donner sa carte en premier, ni à quel moment mettre son bulletin dans l'urne, il avait été content de la revoir, s'amusant de la diférence d'âge entre elle et le doyen du quartier, qui était venu dès l'ouverture. Heureuse coïncidence, pensait-il, que le doyen et la benjamine se retrouvent à mon bureau. Rien que pour celà, Alexandre aimait les élections. Conscient de la naïveté de son rêve, mais n'y renonçant pourtant pas, Alexandre avait l'impresion qu'il se réalisait seulement lors des élections, quand tous les citoyens de classes sociales, de sexes et d'âges différents finissaient par se cotoyer dans un but commun. Différents dans une même unité, unis dans leur différence, ces mots sonnaient bien, et Alexandre se délectait des moments d'utopie devenus ainsi presque réels. Durant les heures creuse, il se repassait les meilleurs instants de la journée, et laissait son esprit errer dans les courants de ses rêves. Un électeur solitaire arivait alors, pour mieux lui faire reprendre pied dans la réalité, mais pour aussitôt le renvoyer dans son idéal, où cet électeur venait se rajouter à la foule des autres électeurs, et où tous restaient unis. Ce n'était que lorsque la journée se terminait et lorsqu'il rentrait chez lui qu'Alexandre revenait vraiment sur terre. En écoutant pour la énième fois la chanson la plus courte et la plus énigmatique qu'il connaissait, il se demandait alors si ce qu'il avait fait avait réellement servi à quelque chose, et si la démocratie n'était pas qu'une illusion. Il se chantait les paroles, comme pour s'en persuader, ou au contraire pour en trouver la faille, mais à chaque fois, rien ne s'imposait vraiment à lui, et le texte luttait contre son utopie. Renaud disait "Et dire que chaque fois que nous votions pour eux/ Nous faisions taire en nous ce cri "ni Dieu, ni maître"/ Dont ils rient à présent puisqu'ils se sont fait dieux/ Et qu'une fois de plus, nous nous sommes fait mettre", et Alexandre pensait "non ce n'est pas possible... quoique..."


[ Pennac a dit : "la vie n'est pas un roman, je sais, je sais. Mais il n'y a que le romanesque pour la rendre vivable" je crois que cela convient à la situation]

Mardi 19 juin 2007 à 10:35

J'ai comme l'impression que ça fait une éternité que je ne suis pas venue. A vrai dire, je le sais par mon webmaster qui a poussé une gueulante pour cause de baisse du taux de visites, et donc pour cause de baisse de salaire. Cher webmaster, puisque la dernière fois que nous nous sommes parlés, je n'ai pas pu en placer une, je souhaite maintenant exprimer mon pardon le plus sincère vis à vis de mon absence et de ce qu'elle a pu provoquer.

[...]

Vendredi 8 juin 2007 à 22:50


Dorian a vécu, bien vécu, il se rapproche peu à peu de la mort, et chaque jour, il la sent, plus narquoise, plus perfide, plus proche de lui que la veille. Chaque jour il se fatigue un peu plus au jardin, chaque jour il a plus de peine pour se lever, chaque jour il se couche un peu plus tôt. Dorian réfléchit un peu, parfois, quand il est près de la fenêtre et qu'il regarde le moineau picorer les miettes qu'il a posé pour lui sur le rebord. Quand il réfléchit, Dorian se plaît à se comparer à un soleil, qui se lève puis qui se couche, et qui finira par mourir. Evidemment, cette idée ne lui est pas venue toute seule, c'est PPDA qui la lui a soufflée. A la télé, ils parlent de plus en plus de réchauffement de la planète, et ils disent qu'un jour, le soleil n'existera plus. Dorian n'en pense rien, il ne sait pas quoi en penser. Souvent, il se dit que des étés chauds, il en a connus, et pas qu'un seul. Souvent, il se dit qu'un hiver doux, ce n'est pas la première fois que cela arrive. Et parfois, il se plaît à parler avec Léonore de cette époque qui semble si lointaine, presque irréelle. Quelques fois, leur discussion se termine bien, elle dure juste ce qu'il faut, contient juste ce qu'il faut pour que le désaccord soit impossible, et alors, chacun se retranche dans un silence borné et reste seul avec ses souvenirs. Mais souvent, les discussions se terminent mal, les insultes et les mots blessant pleuvent, l'orage éclate, comme lorsqu'il fait trop chaud en août et que tonnerre se fait entendre. Pour se consoler Léonore et Dorian se disent que ça a toujours été comme ça, et que ça ne changera pas aujourd'hui. Ils se sont aimés passionnément à seize ans, ont été séparés par la guerre pendant de longs mois, ont continué à s'aimer, ont commencé à se disputer pour un oui, pour un non, à se réconcilier pour un oui, pour un non, à concilier amour et haine, et ont conservé cet ambigu mélange de sentiments confus. Pas un jour ne se passe sans que l'un d'entre eux n'élève la voix. La dispute fait partie du quotidien, ils ont fini par s'y faire, par s'y accoutumer. Quand leurs enfants viennent les voir, ils ne les comprennnent pas. Souvent, leur fille dira, en rentrant chez elle, qu'elle ne les comprend pas, qu'ils finiront par regretter de tant s'être disputer alors qu'ils auraient pu vieillir ensemble et  se construire un bonheur calme et simple. Leur fils, lui, ne comprend pas que les disputes puissent démarrer sur un sujet aussi stupide que le nombre de pommes de terre qu'il faudra faire cuire pour le dîner. L'incompréhension règne, et les enfants se demandent et se demanderont toujours si leurs parents eux-mêmes arrivent à se comprendre. Ceux qui connaissent Dorian et Léonore ne les ont jamais vraiment compris, et Léonore et Dorian ont très souvent fini par leur tourner le dos. Léonore et Dorian vivent seuls tout en étant deux, partagent la même vie tout en se la gâchant. Léonore reproche à Dorian de trop prendre son temps, de n'être qu'un fainéant, et Dorian lui répond que c'est elle qui va vite, et que rien ne la presse, puisqu'ils ont tout leur temps. Dorian se fâche aussi parce qu'il a l'impression que Léonore décide de tout, et qu'elle lui prend son rôle de mari impérieux, mais Léonore sans être féministe, réclame un peu d'autorité, et ne cède jamais sur celle qu'elle a acquise, si bien que la lutte pour le pouvoir est permanente, et ne cessera qu'à la mort de l'un ou de l'autre. La mort justement, ils se la souhaitent mutuellement, tout en regrettant aussitôt amèrement leurs pensées. Quand Dorian part faire ses concours de belote à l'autre coin du département, Léonore s'inquiète s'il n'est pas rentré à l'heure convenue, puis commence à se dire que s'il ne revenait pas, alors elle serait libre, et qu'elle en profiterait enfin. Dorian, à ses concours de belote, souhaite indéfiniment que la partie ne se termine pas, et redoute toujours le moment où il doit remonter dans sa petite peugeot rouge et rentrer chez lui. Quand le soleil se couche et qu'il est sur la route, il se dit que peut-être, en lavant une vitre, elle est tombée de l'escabeau et que... Et puis Dorian s'en veut d'avoir pu osé penser une chose pareille. Mais finalement, Dorian arrive à la maison, avec un petit quart d'heure de retard, parce qu'il a choisit de faire un détour afin de repousser encore un peu le moment de son retour ; oui, Dorian a  juste un quart d'heure de retard, juste ce qu'il faut pour que Léonore ait eut le temps d'espérer sans regretter, juste ce qu'il faut pour qu'ils ne soient pas heureux de se revoir, et qu'en ouvrant la porte, Léonore aboie son fameux "C'est à cette heure là que tu rentre?", puis qu'il commence à lui répondre que oui, merde, il fait quand même ce qu'il veut. Léonore hurlera ensuite que le dîner n'attend pas, lui, et Dorian s'écriera qu'elle n'a qu'à attendre qu'il rentre pour faire chauffer le dîner, puisque rien ne presse et qu'ils ont le temps...


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