ça commence un jour, on ne sait pas trop comment. C'est d'abord un titre qui nous attire, une succession de mots qui nous intriguent, parce qu'ils sonnent bien, parce qu'ils sonnent différemment de ce que l'on connait. Puis ça devient ce titre, ces mots. ça revient comme une obsession, on a tout à coup un besoin, une volonté terrible de trouver ce bouquin. Alors on commence à le chercher, on part à l'aventure, entre les rayonnages... Bibliothèque de quartier, dans un premier temps, parce qu'on ne sait jamais, des fois qu'il ne serait pas si bien que ça, ce livre. Déception, il n'y est pas -"de toute façon, ils n'ont jamais rien ici"- Du coup on passe en librairie, histoire de voir si on le trouve. On évite soigneusement les libraires-accosteurs et leur inéluctable question, ce fameux "Vous cherchez quelque chose de précis?". Oui, on cherche quelque chose de précis. Mais on ne veut pas qu'une inopporune présence humaine vienne s'en mêler ; après tout, c'est notre affaire. Alors on ouvre grands les yeux, on commence ostensiblement à pencher la tête sur le côté de façon à pouvoir lire les titres, on passe son doigt sur le bord des étagères, sur les tranches des autres livres, mais sans y faire vraiment attention. Et enfin, le titre tant cherché apparaît, lui, si indiscernable pour un oeil non-averti, semble soudain se détacher nettement de cette longue enfilade de mots sans saveur, alignés comme une rangée de perles. Délicatement, on le déloge de son rayonnage, et étrangement, on s'aperçoit qu'on est presque en train de le caresser. Puis on regarde la couverture, comme pour vérifier que oui, c'est bien lui que l'on cherchait ; ensuite vient le moment fatal, celui où l'on retourne le livre, peut-être pour parcourir la quatrième de couverture, pour voir si on ne s'était pas trompé quand on avait vu le titre pour la première fois. Mais que l'on lise ou non la quatrième de couverture, nos yeux de consommateurs aliénés glissent inéluctablement en bas à droite, cherchent le code barre et le prix. Huit euros. ça tombe comme une sentence. Trop cher. On renonce, avec une espèce de pincement au coeur et une sorte d'espoir, qui peu à peu s'espacent. On se dit que ce sera pour une prochaine fois, que de toute façon, en ce moment, on n'a pas le temps de lire. Mais on sait maintenant que ce titre n'était pas qu'un titre, qu'il est vraiment un livre, un livre à prendre entre ses mains, un livre à ouvrir, un livre à feuilleter ; on se sent presque bien parce qu'on sait qu'un jour ou l'autre, on finira par découvrir les choses qu'il renferme. Alors on rentre pensif chez soi, on reprend sa vie, on oublie et le titre et le livre. Puis un jour, par hasard, le titre ressurgit, alors qu'on n'y pensait même plus. Il est là, dans les pages d'un magazine parcouru en hate dans une salle d'attente, dans une conversation quelconque surprise entre deux inconnus, ou pire encore, sur la couverture du livre que l'on avait regardé avec une tendresse contenue chez le libraire, et qui se trouve maintenant entre les mains de la personne qui vous fait face dans l'autobus. C'en est trop, cette fois c'est décidé, on va lire ce bouquin, on va enfin savoir ce que cache ce titre. On finit alors par le dénicher quelque part, en un temps reccord. Une fois entre nos mains, on l'ouvre, on le referme, on le dépose sur un meuble, on le déplace un peu, on le reprend, on le repose ailleurs, et arrive un jour où on se décide enfin à le lire pour de bon. On l'ouvre, on tourne les premières pages une à une, avec cette peur de la déception si caractéristique de l'avide lecteur, qu'on en perd toute notion d'espace et de temps. D'un coup, c'est le saut vers l'inconnu, vers l'inconnu apprivoisé.
# Peut-être que mon "on" n'est pas justifié. Peut-être que j'ai tendance à faire de mon cas une généralité. Vous êtes-vous reconnus dans ce texte? Je ne sais pas, mais je l'espère. Non pas parce que ça voudrait dire que j'ai bien écrit (ou bien décrit), mais parce que ce texte implique d'abord une envie et un besoin de lire, que je souhaite à tout le monde de connaître. #