asphalte-et-cumulus

je ne vous connais pas, je vous frôle, là sur le quai, épaule contre épaule

Vendredi 8 juin 2007 à 22:50


Dorian a vécu, bien vécu, il se rapproche peu à peu de la mort, et chaque jour, il la sent, plus narquoise, plus perfide, plus proche de lui que la veille. Chaque jour il se fatigue un peu plus au jardin, chaque jour il a plus de peine pour se lever, chaque jour il se couche un peu plus tôt. Dorian réfléchit un peu, parfois, quand il est près de la fenêtre et qu'il regarde le moineau picorer les miettes qu'il a posé pour lui sur le rebord. Quand il réfléchit, Dorian se plaît à se comparer à un soleil, qui se lève puis qui se couche, et qui finira par mourir. Evidemment, cette idée ne lui est pas venue toute seule, c'est PPDA qui la lui a soufflée. A la télé, ils parlent de plus en plus de réchauffement de la planète, et ils disent qu'un jour, le soleil n'existera plus. Dorian n'en pense rien, il ne sait pas quoi en penser. Souvent, il se dit que des étés chauds, il en a connus, et pas qu'un seul. Souvent, il se dit qu'un hiver doux, ce n'est pas la première fois que cela arrive. Et parfois, il se plaît à parler avec Léonore de cette époque qui semble si lointaine, presque irréelle. Quelques fois, leur discussion se termine bien, elle dure juste ce qu'il faut, contient juste ce qu'il faut pour que le désaccord soit impossible, et alors, chacun se retranche dans un silence borné et reste seul avec ses souvenirs. Mais souvent, les discussions se terminent mal, les insultes et les mots blessant pleuvent, l'orage éclate, comme lorsqu'il fait trop chaud en août et que tonnerre se fait entendre. Pour se consoler Léonore et Dorian se disent que ça a toujours été comme ça, et que ça ne changera pas aujourd'hui. Ils se sont aimés passionnément à seize ans, ont été séparés par la guerre pendant de longs mois, ont continué à s'aimer, ont commencé à se disputer pour un oui, pour un non, à se réconcilier pour un oui, pour un non, à concilier amour et haine, et ont conservé cet ambigu mélange de sentiments confus. Pas un jour ne se passe sans que l'un d'entre eux n'élève la voix. La dispute fait partie du quotidien, ils ont fini par s'y faire, par s'y accoutumer. Quand leurs enfants viennent les voir, ils ne les comprennnent pas. Souvent, leur fille dira, en rentrant chez elle, qu'elle ne les comprend pas, qu'ils finiront par regretter de tant s'être disputer alors qu'ils auraient pu vieillir ensemble et  se construire un bonheur calme et simple. Leur fils, lui, ne comprend pas que les disputes puissent démarrer sur un sujet aussi stupide que le nombre de pommes de terre qu'il faudra faire cuire pour le dîner. L'incompréhension règne, et les enfants se demandent et se demanderont toujours si leurs parents eux-mêmes arrivent à se comprendre. Ceux qui connaissent Dorian et Léonore ne les ont jamais vraiment compris, et Léonore et Dorian ont très souvent fini par leur tourner le dos. Léonore et Dorian vivent seuls tout en étant deux, partagent la même vie tout en se la gâchant. Léonore reproche à Dorian de trop prendre son temps, de n'être qu'un fainéant, et Dorian lui répond que c'est elle qui va vite, et que rien ne la presse, puisqu'ils ont tout leur temps. Dorian se fâche aussi parce qu'il a l'impression que Léonore décide de tout, et qu'elle lui prend son rôle de mari impérieux, mais Léonore sans être féministe, réclame un peu d'autorité, et ne cède jamais sur celle qu'elle a acquise, si bien que la lutte pour le pouvoir est permanente, et ne cessera qu'à la mort de l'un ou de l'autre. La mort justement, ils se la souhaitent mutuellement, tout en regrettant aussitôt amèrement leurs pensées. Quand Dorian part faire ses concours de belote à l'autre coin du département, Léonore s'inquiète s'il n'est pas rentré à l'heure convenue, puis commence à se dire que s'il ne revenait pas, alors elle serait libre, et qu'elle en profiterait enfin. Dorian, à ses concours de belote, souhaite indéfiniment que la partie ne se termine pas, et redoute toujours le moment où il doit remonter dans sa petite peugeot rouge et rentrer chez lui. Quand le soleil se couche et qu'il est sur la route, il se dit que peut-être, en lavant une vitre, elle est tombée de l'escabeau et que... Et puis Dorian s'en veut d'avoir pu osé penser une chose pareille. Mais finalement, Dorian arrive à la maison, avec un petit quart d'heure de retard, parce qu'il a choisit de faire un détour afin de repousser encore un peu le moment de son retour ; oui, Dorian a  juste un quart d'heure de retard, juste ce qu'il faut pour que Léonore ait eut le temps d'espérer sans regretter, juste ce qu'il faut pour qu'ils ne soient pas heureux de se revoir, et qu'en ouvrant la porte, Léonore aboie son fameux "C'est à cette heure là que tu rentre?", puis qu'il commence à lui répondre que oui, merde, il fait quand même ce qu'il veut. Léonore hurlera ensuite que le dîner n'attend pas, lui, et Dorian s'écriera qu'elle n'a qu'à attendre qu'il rentre pour faire chauffer le dîner, puisque rien ne presse et qu'ils ont le temps...


tous les cris les s.o.s

crache ton venin

Par versager le Samedi 9 juin 2007 à 0:21
C'est toi qui a écrit ça ou tu le sors d'un livre ?

Si c'est toi, ben bravo. C'est marrant, j'arrive même pas à déterminer ce qui fait que ça me plait tant.
En tout cas wah. ( <-- exclamation qui exprime l'admiration) Ça me change nettement de ce qu'écrivent certains de mes camarades d'amphi qui se pensent bons... J'en connais une qui ferait bien de venir prendre des leçons.

D'habitude j'aime pas mettre ce genre de commentaires, ça fait lèche bottes, mais bon, je fais une exception au nom de ce je-ne-sais-quoi qui me fait particulièrement aimer cet article. (d'ailleurs ça m'énerve de pas réussir à décortiquer ce que c'est. Les études ont fini par me conditionner à toujours chercher à disséquer les textes)

Mon commentaire a l'air d'être artificiel et froid quand c'est écrit, mais j'aime chaleureusement. (ça veut rien dire, mais ça exprime plutôt bien ce que je ressens)

Par Nounours le Mardi 19 juin 2007 à 23:25
Cette histoire aux personnages fictifs a un air de réalité bien triste.
Par asphalte le Jeudi 21 juin 2007 à 16:26
Versager, merci pour ce commentaire. Venant de toi, ça ne pouvait pas être du "fayotage". Pardonne cette franche affirmation de ma part, mais elle non plus, elle ne s'explique pas vraiment. En tous cas, je dois reconnaître que lire un tel commentaire m'a fait plus que plaisir.
Nounours, je crois que tu dis vrai en voyant dans ce texte des personnages fictifs pourtant assez inspirés de la réalité.
 

crache ton venin









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