asphalte-et-cumulus

je ne vous connais pas, je vous frôle, là sur le quai, épaule contre épaule

Mercredi 9 mai 2007 à 22:44

Comme vous ne vous en doutez pas, cet article sera sans image. Déjà parce que ça changera de d'habitude (...), et puis aussi parce que de toute façon, la photo dont je veux parler n'existe pas en tant que telle, puisqu'elle n'a pas été prise.

Si j'étais photographe, j'aurais eu aujourd'hui l'occasion de réaliser un bon cliché, une image qui, par un certain aspect comique, aurait pu montrer notre société dans toute son invraisemblance.
Je développe : je marche dans la rue. J'ai dans la poche une pièce de un euro. J'ai dans la main un mini dépliant sur le film "We feed the World". Le dépliant indique, assez lisiblement, qu'il s'agit d'un documentaire sur "le marché de la faim".  Dessus, on voit un charriot de supermarché, avec à l'intérieur, un globe terrestre. Comme je ne veux pas qu'on me prenne pour une fille futile, je garde bien en main mon dépliant, de façon à ce que les gens puissent voir ce à quoi je m'intéresse. Un truc dans le genre "Moi, vous voyez, je me préoccupe de la faim dans le monde et de l'ignominie des gaspillages de nourriture qui sont faits chaque jours, à cause des multinationales et du sacro-saint capitalisme." Oui, "moi je". J'ai hélas! des moments "moi je". Ce n'est pas ce qu'il y a de plus glorieux, je vous l'accorde. Mais là où la situation devient drôle, là où je me mets à rire intérieurement de moi-même, c'est quand je passe devant un SDF, assis à l'ombre de l'un de ces énormes bacs à fleurs, ces immodes trucs en pierre que l'on voit en ville. Il tend sa casquette aux passants. Il mendie parce qu'il ne peut pas faire autrement. Si personne ne lui donne de pièces, il ne peut pas manger. Et je vous le rappelle, à ce moment là, j'ai un euro en poche. Et que fais-je? Je passe devant cet homme, je ne le regarde pas, et évidemment, je ne lui donne pas mes un euro. C'est là qu'on prend la photo. Flash! Ne bougeons plus, mais ne sourions pas, il n'y a vraiment pas de quoi. Sur le cliché, on voit donc ceci : une fille qui passe, tenant dans sa main un papier sur lequel on peut lire "le marché de la faim", et juste à coté d'elle, en bas de la photo et dans l'ombre, un SDF qui tend sa casquette. La fille semble ne pas  le voir, mais lui, il a le regard fixé sur le papier qu'elle a dans la main. Quel potentiel comique, vous ne trouvez pas? Moi j'adhère entièrement.

Bon, évidemment, pour ce qui est de la fin de la description de la photo, j'invente un peu. Je ne pense pas que quiconque ait pu lire mon dépliant, en fait. Le SDF n'a certainement pas non plus eu l'occasion de le faire : il devait tellement s'attendre à ce que personne ne lui donne quelque chose qu'il ne faisait pas vraiment attention aux passants. Il se perdait plutôt dans la cotemplation muette des pavés. Il n'empèche que... il n'empêche que dès que je me suis aperçue du paradoxe de la situation, j'ai rageusement rangé mon dépliant dans mon sac.
Il y a des jours comme ça, où on ferait mieux de mettre son ego dans sa poche, à la place de la pièce de un euro qui y traîne...

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=115438.html

Dimanche 6 mai 2007 à 22:41

Ce matin, j'ai fait consciencieusement mon devoir d'histoire. On s'en fiche, je sais. C'était sur la fin du gaullisme, et donc sur mai 68. C'était ma manière à moi de répondre à notre nouveau président de la république (qui n'était que notre futur président, à l'heure où j'ai fait mes devoirs). Car vous savez tous que Monsieur veut liquider l'héritage de mai 68. Moi non, j'aimerais mieux le conserver. Même si on ne peut pas dire que ça ait fondamentalement changé les choses, je ne pense pas que quiconque ait le droit de prétendre le détruire. En étudiant cet épisode de l'histoire de cette France qu'il aime tant, en apprenant les raisons, les faits et les conséquences de mai 68,  je m'oppose un tout petit peu à sa vision de notre pays, que je ne crois pas partager.

Advienne que pourra...

Vendredi 4 mai 2007 à 22:27

ça commence un jour, on ne sait pas trop comment. C'est d'abord un titre qui nous attire, une succession de mots qui nous intriguent, parce qu'ils sonnent bien, parce qu'ils sonnent différemment de ce que l'on connait. Puis ça devient ce titre, ces mots. ça revient comme une obsession, on a tout à coup un besoin, une volonté terrible de trouver ce bouquin. Alors on commence à le chercher, on part à l'aventure, entre les rayonnages... Bibliothèque de quartier, dans un premier temps, parce qu'on ne sait jamais, des fois qu'il ne serait pas si bien que ça, ce livre. Déception, il n'y est pas  -"de toute façon, ils n'ont jamais rien ici"-  Du coup on passe en librairie, histoire de voir si on le trouve. On évite soigneusement les libraires-accosteurs et leur inéluctable question, ce fameux  "Vous cherchez quelque chose de précis?". Oui, on cherche quelque chose de précis. Mais on ne veut pas qu'une inopporune présence humaine vienne s'en mêler ; après tout, c'est notre affaire. Alors on ouvre grands les yeux, on commence ostensiblement à pencher la tête sur le côté de façon à pouvoir lire les titres, on passe son doigt sur le bord des étagères, sur les tranches des autres livres, mais sans y faire vraiment attention. Et enfin, le titre tant cherché apparaît, lui, si indiscernable pour un oeil non-averti, semble soudain se détacher nettement de cette longue enfilade de mots sans saveur, alignés comme une rangée de perles. Délicatement, on le déloge de son rayonnage, et étrangement, on s'aperçoit qu'on est presque en train de le caresser. Puis on regarde la couverture, comme pour vérifier que oui, c'est bien lui que l'on cherchait ; ensuite vient le moment fatal, celui où l'on retourne le livre, peut-être pour parcourir la quatrième de couverture, pour voir si on ne s'était pas trompé quand on avait vu le titre pour la première fois. Mais que l'on lise ou non la quatrième de couverture, nos yeux de consommateurs aliénés glissent inéluctablement en bas à droite, cherchent le code barre et le prix. Huit euros. ça tombe comme une sentence. Trop cher. On renonce, avec une espèce de pincement au coeur et une sorte d'espoir, qui peu à peu s'espacent. On se dit que ce sera pour une prochaine fois, que de toute façon, en ce moment, on n'a pas le temps de lire. Mais on sait maintenant que ce titre n'était pas qu'un titre, qu'il est vraiment un livre, un livre à prendre entre ses mains, un livre à ouvrir, un livre à feuilleter ;  on se sent presque bien parce qu'on sait qu'un jour ou l'autre, on finira par découvrir les choses qu'il renferme. Alors on rentre pensif chez soi, on reprend sa vie, on oublie et le titre et le livre. Puis un jour, par hasard, le titre ressurgit, alors qu'on n'y pensait même plus. Il est là, dans  les pages d'un magazine parcouru en hate dans une salle d'attente, dans une conversation quelconque surprise entre deux inconnus, ou pire encore, sur la couverture du livre que l'on avait regardé avec une tendresse contenue chez le libraire, et qui se trouve maintenant entre les mains de la personne qui vous fait face dans l'autobus. C'en est trop, cette fois c'est décidé, on va lire ce bouquin, on va enfin savoir ce que cache ce titre. On finit alors par le dénicher quelque part, en un temps reccord. Une fois entre nos mains, on l'ouvre, on le referme, on le dépose sur un meuble, on le déplace un peu, on le reprend, on le repose ailleurs, et arrive un jour où on se décide enfin à le lire pour de bon. On l'ouvre, on tourne les premières pages une à une, avec cette peur de la déception si caractéristique de l'avide lecteur, qu'on en perd toute notion d'espace et de temps. D'un coup, c'est le saut vers l'inconnu, vers l'inconnu apprivoisé.

#  Peut-être que mon "on" n'est pas justifié. Peut-être que j'ai tendance à faire de mon cas une généralité. Vous êtes-vous reconnus dans ce texte? Je ne sais pas, mais je l'espère. Non pas parce que ça voudrait dire que j'ai bien écrit (ou bien décrit), mais parce que ce texte implique d'abord une envie et un besoin de lire, que je souhaite à tout le monde de connaître. #

<< yesterday | 1 | 2 | pensons à l'avenir >>

Créer un podcast